CINQUANTIEME ANNIVERSAIRE DU TRAITE DE L’ELYSEE

Appel des présidents du ZdK et des Semaines sociales de France aux chefs d’Etat et de gouvernement allemands et français.

Il y a un demi-siècle, le président français Charles De Gaulle et le chancelier allemand Konrad Adenauer, incarnaient le relèvement de leur pays après les désastres de la guerre. Ils prirent l’initiative audacieuse de sceller par un Traité une démarche irrévocable de réconciliation. Appelant à une coopération politique, le Traité de l’Elysée ouvrait aussi la porte à de nombreuses initiatives citoyennes destinées à la jeunesse, au développement de partenariats entre les communautés territoriales, les associations, les établissements d’enseignement de nos pays, notamment dans le domaine culturel, ainsi qu’à la coopération autour de grands projets industriels. Aujourd’hui comme jamais dans notre histoire, nos deux peuples nourrissent l’un à l’égard de l’autre estime, respect, amitié.

Comme tout acte politique, le Traité de l’Elysée était un compromis. Il ne correspondait pleinement aux attentes d’aucun des deux signataires. Pourtant il prend aujourd’hui les allures d’un acte visionnaire, qui doit beaucoup à l’inspiration éthique des deux hommes d’Etat et dont les progrès réguliers de la construction européenne devaient être le fruit principal. Le « plus jamais la guerre entre nous » prenait la forme d’une promesse mutuelle d’avenir, ouverte aux autres partenaires de la construction européenne.

Aujourd’hui, comme hier, malgré les progrès incontestables de l’unité européenne et de la coopération entre les peuples, les sujets de défiance et les divergences d’intérêt ne manquent pas, avec le retour d’un certain nationalisme avivé par la crise. L’Europe n’a pas été faite pour les abolir, mais bien pour les surmonter dans une démarche commune et dans le respect de la dignité de chacun.

Il ne fait aucun doute pour nous, responsables de deux grandes organisations dédiées aux valeurs d’un christianisme social et à l’engagement politique des chrétiens dans notre société, que la détermination de l’Allemagne et de la France de continuer ensemble sur ce chemin de crête malgré leurs différences, reste le principal garant, pour tous les peuples de l’Union Européenne, de la construction d’un destin commun.

C’est pourquoi nous appelons les responsables politiques de France et d’Allemagne à prendre la bonne mesure de leur leadership au service de l’Europe, non seulement en cherchant avec opiniâtreté les issues urgentes à la présente crise, mais aussi en ouvrant avec leurs partenaires européens les voies d’un futur digne des générations à venir :

  • Il sera nécessaire d’engager une réforme des traités européens, afin de tirer les leçons de la crise financière et de stabiliser dans la durée la monnaie commune, de déboucher sur une réelle union économique et monétaire et de garantir l’équilibre entre les considérations budgétaires et les objectifs de solidarité. La discipline budgétaire est pour nous une exigence éthique, notamment à l’égard des générations futures ; mais la justice sociale exige de prendre des dispositions pour qu’elle ne s’exerce pas au détriment des plus faibles dans nos sociétés.
  • Il faut dans cet esprit donner à « l’Europe sociale » une nouvelle impulsion, corrélative des progrès de l’intégration budgétaire et financière. Le dernier rapport sur l’emploi et la situation sociale dans l’UE a montré de façon tout à fait claire que le chômage et les niveaux de pauvreté et d’exclusion ont atteint de nouveaux sommets et que les décalages entre les pays de la zone euro s’accroissent. En nous référant au modèle de l’économie sociale de marché qui fait partie des objectifs de l’Union européenne depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, nous nous réjouissons des propositions formulées par la Commission des Episcopats de la Communauté Européenne (COMECE) l’an dernier dans sa déclaration intitulée « Une Communauté Européenne de Solidarité et de Responsabilité ». Nos deux pays pourraient à ce titre initier des coopérations renforcées dans le domaine fiscal assurant l’avenir du financement de la protection sociale, et encourager les partenaires sociaux à ouvrir des négociations cadres sur l’avenir des métiers et la prévention du chômage dans les secteurs industriels en mutation, comme l’automobile. Les progrès d’une communauté de responsabilité devront conduire à renforcer les normes communes qui protègent de la précarité et de l’exclusion.
  • L’Union européenne doit s’inspirer d’une culture de la vie durable aux plans écologique, économique et social, et encourager ainsi des modes de vie porteurs d’avenir. Il s’agit de repenser nos économies aujourd’hui seulement guidées par des objectifs de croissance quantitative, adapter nos comportements et subordonner nos investissements, l’utilisation des ressources et les avancées de la science et des techniques aux exigences d’un développement durable, tout en promouvant l’usage de nouveaux repères à long terme, et en particulier d’indicateurs du bien-être social et du progrès.
  • Il convient enfin de mettre tout le poids politique et économique de l’UE au service de la paix et, des droits humains fondamentaux. Certes la puissance européenne n’est que relative. Mais, rassemblés et mus par une volonté de solidarité avec les pays les plus pauvres, en particulier africains, les pays de l’Union peuvent apporter une contribution essentielle à l’avènement d’autorités mondiales efficaces dans les domaines de la finance, du commerce, de la gestion des biens communs, des migrations, de la protection des réfugiés, de l’énergie, du climat et de l’eau. A cet égard, le signal que nos deux pays pourraient donner en repensant et en partageant d’avantage leur souveraineté - au niveau européen et mondial - serait décisif pour renforcer ces autorités.
     

La mémoire de la réconciliation franco-allemande, les fruits qu’elle a portés au-delà de nos deux nations et la force morale avec laquelle les pays d’Europe centrale et d’Europe orientale ont contribué à surmonter la partition du continent européen, doivent nous encourager à prendre dans la crise de nouvelles initiatives de longue portée. Comme dans le passé, celles-ci doivent rester ouvertes à tous les partenaires européens qui sont disposés à aller de l’avant ensemble et selon les méthodes communautaires.

Les exemples que nous soumettons ci-dessus montrent clairement que ces initiatives ne relèvent pas seulement de consensus majoritaires mais qu’elles reposent sur des valeurs morales, et qu’elles demandent aussi pour s’accomplir une volonté éthique commune.

De ce point de vue, il faut s’inquiéter d’une hostilité rampante à l’égard des religions dans de nombreux pays et sociétés d’Europe, hostilité qui peut aller jusqu’à les exclure de la sphère publique, à leur contester la liberté d’expression sur les questions de société. Or la liberté religieuse est un droit inaliénable, fondé sur la dignité de la personne ; la politique européenne doit se référer en conséquence non seulement au préambule du Traité de Lisbonne, qui invoque son héritage culturel, religieux et humaniste, mais aussi aux conclusions correspondantes du Conseil européen de 2009 et de 2011 invitant les Etats à veiller à ce que leur « système législatif offre à tous sans distinction des garanties suffisantes et effectives de liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction ».

L’UE s’est vue honorée du Prix Nobel de la Paix en 2012 parce qu’elle avait relevé les défis de la réconciliation et de la paix sur le continent européen. Ces missions de paix et de réconciliation demeurent essentielles ; mais aujourd'hui, l'Europe doit faire place à d’autres défis, éthiques, politiques et économiques, qui ne demandent pas moins de courage et de détermination. Comme chrétiens européens, nous entendons y apporter notre contribution.

Alois Glück      Jérôme Vignon

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