"Robert Schuman, hier et aujourd’hui…"

Paul Collowald (Président de l’Association Robert Schuman (Scy-Chazelles) - es gilt das gesprochene Wort

Lorsque, l’autre jour, mon ami Jérôme Vignon m’a téléphoné, il n’a pas eu de longues explications à me fournir pour que je comprenne la raison de son appel : il a prononcé le mot de Katholikentag, au mois d’août 1913 – et j’ai enchaîné : Robert Schuman s’y était beaucoup impliqué ! Je m’attendais à une demande de Jérôme en vue de compléter sa documentation sur cet événement pour un futur article dans la LETTRE des Semaines Sociales. En fait, le coup de fil avait pour objet de me donner la parole, à l’occasion d’une prochaine cérémonie à Metz, organisée par le Zentralkomitee.

Me voici donc devant vous, quasiment inconnu ; une sorte de « témoin ». Faisons donc connaissance et, puisqu’un témoin doit être crédible, il faut que je vous parle un peu de moi.

Mon parcours européen commence à Strasbourg, le vendredi 12 août 1949, date à laquelle se situe ma première et longue conversation avec Robert Schuman.

A ce moment, j’étais un jeune journaliste au « Nouvel Alsacien », le quotidien catholique du Bas-Rhin. Les Editions ALSATIA de Colmar avaient en l’idée de publier un ouvrage collectif sur l’Europe en marge de la première réunion du Conseil de l’Europe. Ce livre comportait plusieurs biographies de personnalités européennes et j’avais signé celle de Robert Schuman.

Il se trouve que le Directeur du Foyer de l’Etudiant (le FEC), le célèbre Frère Médard, avait invité, à une grande réception, Ministres et parlementaires. Il me présenta à Robert Schuman et la conversation s’engagea sur la naissance de cette première Institution européenne à Strasbourg et sur le futur des relations franco-allemandes. A ce propos, le Ministre des Affaires étrangères me rappela l’importance des élections allemandes prévues pour le dimanche 14 août. En effet, à cette date, l’Allemagne fédérale avait certes son Grundgesetz, sa Constitution mais, point de Parlement, point de Gouvernement.

Robert Schuman se posait évidemment la question : que va-t-il sortir des urnes ? Il ne faudrait pas recommencer Versailles, avec cet engrenage tragique conduisant à Hitler ? Une Solution européenne ? Laquelle ?

C’est ainsi que Robert Schuman pensait tout haut, en allant à pied, du FEC à la Préfecture, où il logeait. Il m’avait demandé de l’accompagner, car m’ayant promis une dédicace, il m’avait dit, avec son humour souriant : « je voudrais d’abord jeter un coup d’oeil et voir ce que vous avez écrit sur moi ! ». Pendant qu’il feuilletait le livre, j’attendais, un peu intimidé, légèrement inquiet. Il prit son stylo et me tendit le volume avec sa dédicace, en me remerciant d’avoir parlé de lui « avec beaucoup de bienveillance », et avec ses voeux pour mon « avenir » … ! A ce moment j’ignorai évidemment que cet « avenir » serait fortement « européen ».

Car, au fil des années, je suis devenu, un peu malgré moi, une sorte de spécialiste de la « Déclaration Schuman » du 9 Mai 1950, qui à mes yeux, était largement la réponse aux questions que s’était posé Robert Schuman, à la veille des élections allemandes du 14 août 1949.

Ce texte historique admirablement préparé par Jean Monnet et son équipe, constitue à la fois le socle de la réconciliation franco-allemande et les débuts de la construction européenne. Lorsque, en fin de matinée du 9 Mai 1950, le Chancelier en prend connaissance par les documents apportés par un proche collaborateur de Robert Schuman, Robert Mischlich, en mission secrète à Bonn, le mot-clé est : Gleichberechtigung, c’est-à-dire : « égalité des droits ». En 2013, cela n’a pas l’air très flamboyant, un peu abstrait mais c’est exactement le contraire du « Vae Victis », que nous avons si souvent lu dans nos livres d’Histoire. C’était une véritable révolution dans la politique étrangère. Historiens et politologues ont écrit de nombreux livres sur cet événement : était-ce le fruit de la nécessité ? le hasard ? la Providence ? Une affaire d’hommes et de circonstances.

Il faut parfois remonter le temps …

Pour ma part, j’ai été frappé par les méditations parallèles de deux hommes, Jean Monnet dans son Mémorandum d’août 1943 à Alger ; Robert Schuman, sorti des prisons de la Gestapo à Metz et se trouvant en résidence surveillée, à Neustadt (en Palatinat). Ils réfléchissent l’un et l’autre à l’après-guerre.

Au printemps 1942, Robert Schuman reçoit son ami Georges Ditsch. Celui-ci, rentré chez lui, à Thionville, résuma la pensée de Robert Schuman. J’ai pu lire ses notes, dont je voudrais vous proposer l’essentiel :

« Une fois le national-socialisme vaincu, il faudra imaginer des formes nouvelles pour unir l’Europe car, dans le passé, certains l’avaient tenté par la force. Sans une réconciliation sincère et définitive entre Français et Allemands, une Europe pacifique n’est pas pensable. Assez de guerres civiles ! Nos populations des frontières sont bien placées pour le savoir. Les frontières qui nous séparent aujourd’hui ne doivent pas être une barrière entre des peuples, entre des hommes qui, en fin de compte, n’ont jamais été eux-mêmes à l’origine des conflits. Il faut en finir avec la notion « d’ennemi héréditaire » et proposer à nos peuples de former une communauté qui sera le fondement, un jour, d’une patrie européenne… si nous agissons de la sorte, nous aurons accompli les dernières volontés des morts de tous les pays. »

Quelle interpellation, au moment où l’on vient d’entamer les préparatifs de la commémoration du conflit de 1914-1918 !

A ce propos, je voudrais vous lire un texte, retrouvé sous le toit d’une ferme lorraine, dans une petite bouteille de Schnaps. Daté du 17 juillet 1916, le message avait été rédigé et signé par 6 soldats allemands s’apprêtant à monter au front, près de Verdun. En voici la traduction fidèle y compris dans la maladresse de l’expression : « La guerre est un métier rudement dangereux, et les souffrances que les populations des territoires occupés ont dû supporter sont grandes, très grandes ; elles sont nées d’une haine amère provoquée par les dirigeants, les puissants. Nous soldats, nous ne partageons pas ces idées. Nous avons la guerre en horreur et nous souhaitons la paix. Ce qui doit être le legs à nos petits-enfants comme prix de cette lutte insensée et qui doit hanter les coeurs de ce monde, pour le 3 pour et le contre, pour l’un, comme pressentiment, pour l’autre comme réalité, comme bonheur et malheur. Utopie et possible Eden est une Europe unie et l’amitié entre les peuples et accomplissement de l’expression que nous sommes tous frères. »

La petite bouteille est conservée à la Maison Robert Schuman, à Scy-Chazelles et nous essayerons de la faire mieux connaître, avec son beau message.

Aujourd’hui dans un monde en pleine mutation, nous nous trouvons à Metz pour commémorer ce 100ème Anniversaire du Katholikentag. Nous sommes en 2013 et, coïncidence assez extraordinaire, durant cette année, nous avons célébrer deux Anniversaires de nature assez différente : en janvier, le 50° Anniversaire du Traité de l’Elysée et en septembre, le 50e Anniversaire du décès de Robert Schuman. Ayant été sollicité de prendre la parole plusieurs fois dans ce contexte, j’ai eu l’occasion de rencontrer différents degrés d’amnésie et un traitement mémoriel parfois un peu biaisé. Mais ce n’est pas le sujet de cet après-midi. En revanche, puisque nous étions ce matin à la Cathédrale, j’ai repensé à la lettre que m’avait adressée Monseigneur Schmitt, avec le texte lu aux obsèques de Robert Schuman en 1963. L’évêque de Metz me précisait que, conformément aux dernières volontés de Robert Schuman, il n’y aurait pas d’homélie : en revanche, il a fait lire, par le Chanoine Ruer, le texte qu’il avait rédigé pour la circonstance et dont il me joignait la copie. Des 7 paragraphes, je ne vais qu’en citer un :

« La mission de Robert Schuman a été d’être un jeteur de ponts, un homme de la rencontre fraternelle et du dialogue fécond entre des peuples souvent opposés, un apôtre de la réconciliation et de la paix ».

Robert Schuman un « jeteur de ponts » : oui vous avez bien entendu : vous êtes bien en phase avec votre thème de l’an prochain à Regensburg : Brücken bauen. Apôtre de la « Paix et de la Réconciliation » deux mots qui sont encore d’une étrange actualité, ne pensez-vous pas ? Alors, dans le désarroi et les incertitudes de notre temps, Robert Schuman a-t-il encore quelque chose à nous dire, aujourd’hui ?

Constatons, d’abord, qu’il n’a pas souhaité écrire ses « Mémoires ». Au début des années 1960, son état de santé déclinait et il se décida à reprendre les grands thèmes de sa vie publique dans un petit livre intitulé « Pour l’Europe », tout simplement. Publié dès le lendemain de sa mort, cet ouvrage connut plusieurs rééditions au fil des années.

En mai 2000, à l’occasion du 50e Anniversaire de la Déclaration Schuman, la 3e Edition comporta une Préface de Jacques Delors dans laquelle il nous incitait « à méditer ces écrits et à découvrir leur éclatante modernité, à l’heure où chacun déplore la perte du sens … ».

Au Printemps 2005, à la veille du Référendum en France, relatif à la CONSTITUTION, Michel Barnier, Ministre des Affaires étrangères, préfaçait la 4e Edition, dans le même esprit : « Ce texte, écrivait-il, est bien plus qu’un testament. La pensée de Robert Schuman éclaire encore le chemin de l’Europe qui reste à construire. Cette pensée indique le cap … »

En Allemagne, on disposa assez rapidement de la traduction et le chancelier Konrad Adenauer avait tenu à en assurer la Préface. Il y souligne, en particulier, la portée de la « Déclaration Schuman, le pas incroyablement innovant et ambitieux » : « ein unerhört neuer und kühner Schritt ». Le Chancelier, dans sa conclusion, rend hommage « à l’homme d’Etat, au grand Français et grand Européen ». Puis-je ajouter qu’au Katholikentag de Metz, en 1913, ce jeune avocat ne savait évidemment pas qu’il serait, aussi, un grand Lorrain – et grâce à vous -, fêté à Metz, en ce 12 décembre 2013 ! Je viens d’évoquer le livre de Robert Schuman. Dans son Avant-propos, j’ai trouvé ces quelques lignes qui sonnent comme un message que je voudrais vous transmettre en conclusion.

« Les dures leçons de l’histoire ont appris à l’homme de la frontière que je suis, à se méfier des improvisations hâtives, des projets trop ambitieux, mais elles m’ont appris également que lorsqu’un jugement objectif, mûrement réfléchi basé sur la réalité des faits et de l’intérêt supérieur des hommes, nous conduit à des initiatives nouvelles, voire révolutionnaires, il importe – même si elles heurtent les coutumes établies, les antagonismes séculaires et les routines anciennes – de nous y tenir fermement et de persévérer ».

Ah ! la persévérance … je sais que ce n’est pas une vertu cardinale, mais c’est une grande vertu européenne ! Oserais-je compléter la citation de Robert Schuman en vous disant qu’il faut à la fois persévérer et réinventer ! Il faut tenir les deux bouts de la chaîne, le passé et l’avenir. Vergangenheit und Zukunft ! L’avenir, c’est demain ; c’est mai 2014 avec les élections européennes : alors, aux urnes citoyens!

Paul Collowald

Président de l’Association Robert Schuman (Scy-Chazelles)

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