Europäisches Kolloquium am 28.02.-02.03.2002 in Berlin

Eröffnungsrede

von Michel Camdessus, Président des Semaines Sociales de France

Laissez-moi vous dire l'émotion , la joie et l'honneur que je ressens ã ouvrir avec mon ami le Professeur HJ MEYER cette rencontre . Allons à l'essentiel. L'essentiel c'est la joie et les promesses de cette rencontre, car si nous sonnes tous ici, venues de 20 pays d'Europe, si nous avons abandonné pour trois jours nos familles et tant de responsabilités, c'est parce que nous savons que l'Europe est aujourd'hui des heures d'histoire et que nous sommes tous taraudés par un sens de l'urgence de :

  • trouver les moyens de nous entraider à nous situer comme chrétiens face à cette nouvelle étape de l'intégration européenne,
  • mieux identifier nos responsabilités dans cette intégration,
  • et de réfléchir ensemble à la réponse que l'Europe doit apporter aux défis de la mondialisation.
     

Comme le Président MEYER a posé de main de maître les fondements socio-éthiques de notre engagement, je ne vous offrirait que quelques remarques sur notre condition de chrétiens aujourd'hui comme citoyens d'Europe, et sur la condition présente aussi de l'Europe et du monde.

I . Un mot, d'abord, sur notre condition de chrétiens citoyens d'Europe face à nos responsabilités au début d'une nouvelle étape de l'intégration européenne.

Nous sommes réunis aujourd'hui porteurs d'une histoire de deux mille ans pendant lesquels le ferment évangélique n'a cessé de travailler notre Europe sans jamais parvenir à la rendre véritablement chrétienne pour autant. Même l'Europe dite de la chrétienté n'était pas si chrétienne que cela ! C'est une histoire traversée des rais de lumière de la sainteté et pleine aussi d'égoïsmes, de volonté de puissance et de haines. Comme il est juste le mot d'Alexandre Men « après deux milles ans d'histoire, l'histoire du christianisme ne fait que commencer »

Nous nous sommes tous beaucoup combattus. Parlant au Parlement Européen à quelques mois de sa mort qu'il savait prochaine, le Président Mitterrand avait eu ces mots: « l'Europe a permis de mettre fin à 2000 ans de guerre. Avant de venir j'ai vérifié : mon pays, la France a été historiquement en guerre avec tous vos pays, sauf un, le Danemark » Et l'on peut craindre – bien que l'on sait depuis tacite que les tribus gauloises sont parmi les plus belliqueuses – que chacun de vos pays ait fait la guerre à, a peu près tous les autres. Le temps certes a passé mais nous savons tous que la paix est toujours plus fragile qu'on ne le croit. Nos églises aussi se sont déchirées parfois et ignorées souvent.
Mais voici que nos pays se rapprochent et nos églises aussi. Nous pouvons avoir aujourd'hui une lecture différente de notre histoire. Au-delà de ces innombrables conflits, ne peut-on pas affirmer que ce sont des démarches de réconciliation qui ont souvent façonné, à travers les siècles, l'évolution politique et sociale de notre continent ? la construction européenne n'est-elle pas une expérience chrétienne de réconciliation c'est-à-dire le fruit des efforts de chrétiens marqués par le travail de réconciliation ? On pense, bien sûr, à la réconciliation franco-allemande, à la réconciliation germano-polonaise, à la réconciliation entre Hongrois et Roumains, à la réconciliation de deux Espagnes et à tous les chantiers ouverts pour des réconciliations à venir dans les Balkans ou en Europe orientale, en Irlande, au Pays Basque…. Mais la réconciliation n'est pas acquise d'un coup, à travers un accord, une déclaration ou un traité… C'est un processus permanent qui requiert persévérance et vigilance, un processus que nous rappellent intensément les gestes de réconciliation de Jean-Paul II posés comme signes majeurs de l'Espérance et de l'Amour. Ils nous disent, de quelque manière, qu'entre Européens, entres frères en humanité, nous ne pourrons jamais cesser de nous demander pardon, sachant très bien que c'est sur le pardon que la paix véritable se construit.

En réalité ce sont de tels gestes de ceux qui nous ont précédés, ce sont leurs actes de Foi et d'Espérance qui nous ont permis d'être, aujourd'hui, ici, ensemble et c'est sur cette efficacité politique de pardon et de l'Amour que nous voulons que se fonde un jour la posture diplomatique de notre Europe.

Nous sonnes des réconciliés, mais avant tout des enfants d'une même famille. Je voudrais souligner ici un fait qui me tient particulièrement à cœur. Il n'y a pas parallélisme entre l'élargissement de l'Union et le mouvement qui nous réunit. L'Est ici ne vient pas frapper à la porte de l'Ouest. Mais chrétiens de l'Est et de l'Ouest séparés, dispersés par les cruautés de l'histoire du XX ème siècle, nous nous retrouvons et nous accueillons mutuellement. Enfants d'une même Europe, travaillés les uns et les autres par le même Évangile, nous nous retrouvons aux portes d'une maison commune à restaurer, à habiter ensemble et à ouvrir au monde. Aux portes de cette maison commune, il n'est pas question d'accession, mais d'accueil mutuel dans la joie fraternelle, et la détermination commune à faire face aux défis qui nous attendent. Ils ne manquent pas. Dans son discours au Parlement européen, dès octobre 1988, Jean-Paul II envisageait précisément tous ces défis sous l'angle de la réconciliation : « d'abord, la réconciliation de l'homme avec la création, en veillant à la préservation de la nature, de sa faune et de sa flore, de son air et de ses rivières, de son équilibre précaire, de ses ressources limitées et de sa beauté qui loue la gloire du Créateur ; puis la réconciliation de l'homme avec ses semblables, en s'acceptant les uns les autres comme des Européens aux traditions ou courants de pensée différents, en accueillant les étrangers et les réfugiés et en s'ouvrant aux richesses spirituelles des peuples des autres continents ; enfin, la réconciliation de l'homme avec lui-même, en oeuvrant à la reconstruction d'une vision intégrale de l'homme et du monde, contre les cultures du soupçon et de la déshumanisation, une vision dans laquelle la science, la technique et l'art, loin d'exclure Dieu, suscitent la foi en lui " (N.12)

Frères, réconciliés, chrétiens, appelés à s'engager pour construire une Europe où la justice et la dignité de l'homme soient respectées nous sommes conscients que cette tâche toute humaine est pour nous aussi – mystérieusement – construction du Royaume. Il n'y a pas, en nous, deux dynamiques extérieures l'une par rapport à l'autre – l'une spirituelle et l'autre temporelle – mais une même dynamique celle de l'Incarnation. Mais si notre tâche est pour nous sacrée, elles est aussi participation à un immense chantier main dans la main avec beaucoup d'autres qui ne partagent pas notre Foi. Cela doit nous rendre encore plus soucieux d'être capables de rendre compte de nos motivations profondes, dans un effort constant pour que les valeurs que nous portons pénêtrent l'Europe que nous construisons. Pour cela, il nous faut être et agir ensemble, cela, d'autant plus que nous vivons dans un monde où les États ne sont plus les seuls acteurs de l'histoire, mais où la société civile devient un acteur de premier plan. Les chrétiens doivent donc pouvoir s'exprimer comme membre à part entière de cette "société civile" à laquelle on fait facilement référence aujourd'hui sans toujours la définir et même parfois en feignant d'ignorer la place qu'y tiennent les religions.

Un dernier aspect de notre condition est l'urgence qui nous étreint. Les enjeux sont immenses et ce sont ceux de notre génération. Ils se jouent maintenant.

C'est maintenant que se joue le destin d'une Europe sociale, l'avenir et l'étendue des régimes de protection sociale face à la montée des inégalités et des exclusions ;

C'est maintenant que doit se construire la cohésion d'une société européenne étendue aux nouvelles limites géographiques de notre Union ;

C'est maintenant qu'il s'agit de rendre sa vitalité à notre culture commune en la partageant ;

C'est maintenant qu'il nouas faut définir notre vision commune d'un monde livré jusqu'ici aux forces autonomes de la mondialisation…

Face à de tels choix, ni la temporisation, ni les timidités ne sont permises. Il nous faut répondre, maintenant, ensemble. Nous sommes appelés à l'audace et à l'imagination. Ne doutons pas des valeurs que nous portons ; elles sont indispensables à l'Europe et au Monde ; enfin ne nous laissons pas piéger dans les traditions respectables ou les formules éprouvées du passé. Celles que nous inventerons ensemble auront plus de chances de correspondre aux besoins de notre temps. C'est jusqu'à notre identité elle-même de citoyens de l'Europe que nous decvons construire ensemble. Ni l'

Europe, ni le Royaume de Dieu ne sont derrière nous. Il sont à construire. Nul pays ne détient toute la réponse. Aidons-nous à nous entraider, pour affronter ensemble cette heure d'Histoire !

2. Condition de l'Europe
2004 c'est demain. L'heure des grands choix est arrivée pour ceux qui nous gouvernent . L'Europe est confrontée dans son organisation intérieure à deux défis simultanés et partiellement contradictoires,. e défi de son approfondissement et celui de son élargissement. Elles ne peut récuser ni différer aucun de ces deux objectifs. Elle doit prendre appui sur la réalisation concrète d'un pouvoir fédéral (l'union monétaire) et sur les contraintes extérieures nouvelles en matière de diplomatie et de sécurité, pour accélérer la réalisation d'une structure fédérale globale, spécifique à une union d'États nationaux. Cette organisation européenne conçue sur la base du principe subsidiarité, sera nécessairement évolutive dans son périmètre territorial, dans ses missions et l'agencement de ses pouvoirs.

Soyons simplement bien conscients de l'importance de l'enjeu institution dont la convention va se saisir. Résoudre ces questions est un enjeu capital.

C'est parce que nous avons une certain idée de l'Europe que nous souhaitons qu'elle soit solidement construite. Comment ferait-elle prévaloir à l'intérieur la justice et la solidarité si elle n'avait en son centre une instance vigoureuse de décision, comment constituerait-elle un élément d'équilibre d'un monde multipolaire si elle n'avait pas les moyens d'une expression et d'une action extérieures communes ?

Mais, ce qui nous attend n'est pas seulement un travail d'ordre institutionnel. S'engager pour la construction européenne, c'est porter une préoccupation qui dépasse le succès d'un projet économique et même politique. C'est vouloir une plus grande harmonie d'un ensemble humain dans la paix et la justice conformément au désir de Dieu.

Avant même que la réforme institutionnelle ne soit définie, nous devons affronter ensemble tout ce qui en Europe est repli sur soi et menaces pour la dignité de l'Homme. Une Europe hédoniste , un repli démographique, une Europe qui est fermée à l'immigration risque de rater sont rendez-vous avec l'Histoire. Pour faire face à ce risque, pas plus que pour l'organisation institutionnelle, il n'y a de programme chrétien ; mais il y a une façon chrétienne de se situer par rapport au problème de la famille, aux questions bio-étiques, à la politique à l'égard des immigrés, etc. Si nous sommes persuadés que la vocation de l'Europe n'est pas fondamentalement d'être un îlot de prospérité bien protégé, si la finalité de la construction européenne ne se limite pas, pour nous, à la promotion concertée du matérialisme, ces convictions nous conduiront à peser sur des prises de positions concernant la qualité de la vie personnelle et collective sur notre continent.

C'est, et ce sera, très difficile car ce sont là des sujets qui souvent touchent à des options philosophiques très différentes et où la pression du consumérisme régnant se combineront pour que les débats de fond soient évités et que la société européenne se construise sur le modèle du "moins-disant éthique", comme il y a un moins-disant fiscal ou réglementaire.

Gardons-nous de penser pour autant que notre présence à la vie de la société européenne doit être centrée sur la défense d'une éthique chrétienne plus ou moins subrepticement remise en cause. Tout en y veillant, nous devons avoir une ambition tout aussi importante qui est de contribuer à faire vivre une Europe de la culture. L'Europe doit se réapproprier toute sa culture, elle doit surtout la développer, la transmettre, la faire vivre. cette culture est un trésor fragile tout pétri de valeurs chrétiennes, c'est notre responsabilité de la partager, de continuer à l'enrichir en la transmettant. L'abandon des soubassements moraux de ses sociétés et l'abandon au fil de l'eau de son ambition culturelle sont les vrais périls mortels pour notre Europe. Si elle s'y abandonne, elle deviendra une Europe des lobbies ; elle ne serait plus alors dans une Europe du sens. Ce péril ne sera conjuré que dans le débat démocratique et il est urgent de nous y préparer. C'est pour cela que nous sommes ici. Pour être debout et prêts à parler ensemble au nom de nos valeurs, seules réponses véritables aux risques d'instrumentalisation de l'homme, à la fascination de l'argent ou du pouvoir qui peuvent être mortels pour la démocratie et la civilisation. Oui, comme l'affirmait dès la Pentecôte 1979, le Cardinal Etchegaray « le chantier de l'Europe est vraiment un lieu privilégié pour le témoignage évangélique ». Mais, se hâtait-il d'ajouter : « En particulier nous devons nous demander si nous cherchons à accroître notre abondance ou à développer le partage et la solidarité avec les
autres pays ».

Voilà qui nous confronte à la condition du monde.

3. Condition du monde.

Ce monde fait face à une mutation historique. Il est en crise. Il a besoin d'Europe or l'
Europe doit devenir de plus en plus et sera bientôt le véritable cadre de notre présence au monde.
Nous ne construisons plus seulement l'Union européenne pour y garantir la pais, organiser la démocratie, soutenir le développement économique et social. Les chrétiens ne peuvent se satisfaire d'une Europe unie dans un monde déchiré, d'une Europe paisible dans un monde ensanglanté, d'une Europe enrichie dans un monde appauvri ; mais le risque existe d'un repliement sur lui—même d'un continent vieilli, fatigué par l'histoire, contemplant les produits de son intelligence et commémorant les grands moments de son passé. L'Europe n'a pas pour vocation de devenir le nouveau musée d'un monde ancien. Elles doit assumer sa part de responsabilité dans la construction d'un monde nouveau. En acceptant les coûts humains et financiers d'une telle responsabilité.

Dans cette perspective quelle peut être la contribution des chrétiens ? une contribution urgente et essentielle :

  • œuvrer à faire prévaloir l'Esprit de réconciliation,
  • humaniser la mondialisation par la solidarité et le combat pour le développement durable,
  • enfin alors même, qu'émerge à peine une conscience européenne, répandre les semences d'une citoyenneté et d'une gouvernance mondiale.


I - Offrir au monde notre expérience de la réconciliation
La logique de réconciliation, de cheminement ensemble, d'ouverture, d'oubli d'une pratique diplomatique fondée « sur l'égoïsme sacré » et la logique de puissance, peut et doit être pratiquée au plan mondial. Une diplomatie européenne forte devrait être inspirée de ces principes et contribuer à ouvrir ainsi dans le monde déchiré d'aujourd'hui, un nouvel âge des relations internationales. L'Europe s'unifiant ne se contenterait pas de «déclarer la paix au Monde », elle s'engagerait à œuvrer de toutes ses forces et de toute sa puissance d'acteur de premier plan à la favoriser et à la consolider.

Humaniser la mondialisation
Assumer nos responsabilités c'est prendre part à l'effort collectif pour rendre la mondialisation plus humaine. Il s'agit ici encore d'universalisme comme nous le montre bien un document publié par la Commission Justice et Paix de mon pays mais nous devons choisir lequel.
« L'universalisme de type Tour de Babel, fondé sur la réduction des diversités humaines à un modèle, niant à la limite la notion même de sujet, mène en réalité à la dispersion des hommes et à l'impossibilité de se comprendre, donc aux conflits et aux violences. A cette conception s'oppose l'universalisme de la Pentecôte, assis sur la différence des sujets et leur autonomie, permettant à chaque peuple de comprendre les autres dans la visée d'une unité orientée vers le salut, le développement de tout homme et de tous les hommes ».
[Je me réfèrerai ici à mon expérience actuelle de sherpa pour le nouveau partenariat avec l'Afrique et d'envoyé spécial de Kofi Annan pour la préparation de la conférence mondiale Finances et développement.]

3 –Citoyenneté et gouvernance mondiale
Ce qui se cherche aujourd'hui, c'est une nouvelle organisation fondée sur la Justice, une organisation qui permette à chaque peuple d'avoir une présence active dans un ensemble diversifié. Chacun doit pouvoir participer à la construction de la cité humaine, dans un respect réel des différences. Cela suppose que des règles du jeu soient définies en redécouvrant le texte de la Pentecôte traduit en termes der multiculturalisme et de citoyenneté élargie aux limites du monde.

[référence au rapport établi pour la COMECE sur la gouvernance mondiale.]

En proposant cela sommes-nous dans l'illusion ou la douce utopie. Oui, si l'on pense que Jean XXIII appelant de ses vœux, à l'aube des années 60 l'instauration d'une « autorité publique à compétence universelle » n'était qu'un doux rêveur. Non, si nous sommes attentifs aux risques de nature universelle qui menacent le monde et si nous nous laissons envahir par l'Esprit de Pentecôte. En acceptant aussi que par de la l'œcuménisme, nous participions avec toute notre ferveur au dialogue interreligieux.

En tant que catholique, je me souviens de ces mots du Concile :
« Il faut souhaiter que les catholiques, pour bien remplir leur rôle dans la communauté internationale, recherchent une collaboration active et positive avec leurs frères séparés, qui, eux , professent l'amour évangélique avec tous les hommes en quête d'une paix véritable .
En tant que laïcs chrétiens, nous voudrons évidemment mettre nos pays sur le sentier tracé par la charte Œcuménique adoptée le 22 avril dernier par la conférence des Églises européennes (KEK) et le conseil des conférences épiscopales d'Europe )CCEE). Il ne s'agit encore que de « lignes directrices en vue d'une collaboration croissante entre les Églises d'Europe « et par là renforcer l'unité visible des Églises chrétiennes en Europe, si fondamentale pour l'unité même de l'Europe. Mais, en Europe même, et plus encore au plan mondial, le dialogue interreligieux gagne une urgence que le 11 septembre n'a fait que rendre plus vive. En ce domaine les initiatives du Pape à Assise sont des signes forts, les signes que les fidèles de chaque tradition religieuse sont reconnus dans leur recherche de la vérité. Sur ces questions, l'Europe hérite d'un lourd passé… qui peut faire naître un espoir pour le futur.

Mots de conclusion : à partir de la prière du Grand Rabbin Sirat à Assise

Michel Camdessus, Président des Semaines Sociales de France

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